Ce mercredi 30 juin 1880, la cloche de la maison Saint-Joseph se met en branle. Il n’est pourtant que 4 heures du matin.
Dans cette grande maison située vieille route de Douarnenez (actuelle rue de Rosmadec), les neuf Pères jésuites n’ont pas dormi de la nuit. Alors que dans la chapelle, ils entonnent de nouveaux psaumes, de la rue montent des bruits inquiétants : piétinement de chevaux, cliquetis de sabres, murmures confus.
La maison est cernée depuis minuit et, à trois heures, le commissaire de police appose sur la porte extérieure du lieu sacré une affiche informant le public que l’édifice est désormais interdit au culte.
Les religieux savent que, sur ordre du gouvernement anticlérical, le terrible préfet Le Guay veut les expulser. Ah ! les naïfs ! Comment ont-ils pu croire que des pèlerinages et des prières pouvaient faire fléchir leurs bourreaux qui ont décidé d’en finir avec une congrégation qui serait, à les croire, en état de conspiration permanente contre la République. On raconte même que les membres de la Compagnie de Jésus font passer leurs prétendus trésors en Prusse pour favoriser une nouvelle invasion allemande. Foutaise que tout cela !
Depuis la création de la Compagnie en 1540, l’ordre a dû affronter nombre de tempêtes et en particulier sa suppression au XVIIIe siècle. Rétabli en 1814, ses membres, profitant de l’Ordre moral établi sous la présidence de Mac Mahon, ont ouvert de nombreuses écoles prospères.
Mais frayons-nous un passage devant la maison Saint-Joseph.
La porte va bientôt céder
Après un coup de sonnette resté sans réponse, les occupants reçoivent une première sommation Au nom de la loi, et, de l’intérieur, une voix répond que les règles de la maison s’opposent à ce que le Supérieur reçoive avant cinq heures.
Nul besoin de carton d’invitation pour les forces de l’ordre qui commencent à enfoncer la porte, tandis que deux brigades de gendarmerie placées aux extrémités de la rue tentent d’éviter les attroupements de fidèles qui, malgré l’heure très matinale, sont déjà nombreux sur la place Neuve (actuelle place de la Tour d’Auvergne).
Après deux autres sommations, la porte à deux battants donnant sur le jardin de la maison ne résiste que 3/4 d’heure aux efforts des serruriers brestois. Aucun artisan quimpérois n’a voulu accomplir cette sinistre besogne.
Alors que l’abbé Rossi et quatre laïques sont expulsés, le père Le Guino, Supérieur, lit à haute voix l’arrêté d’expulsion puis, refusant de quitter les lieux dans le calme, il s’enferme dans sa cellule au premier étage avec les autres religieux.
Le répit est de courte durée, car les policiers défoncent la première porte, empoignent le révérend père, et le traînent de force au dehors. Il découvre alors la foule des Quimpérois et des nombreux habitants des communes environnantes qui attendent avec angoisse la fin de ce combat ô combien inégal. Beaucoup s’agenouillent et pleurent. Très ému, le Supérieur les bénit, prononce des paroles réconfortantes et dit pardonner à ses tortionnaires. Un gendarme, oublieux de sa mission, se prosterne devant le père Lemoign qui, avec les autres religieux, vient d’être expulsé à son tour. Le militaire se jette dans les bras du Jésuite et l’embrasse avec effusion en lui demandant pardon.
Lorsque le vénérable père Auguste de Saint Alouarn apparaît, l’émotion est à son comble et d’immenses cris d’indignation et de douleur se font entendre. Tous les Quimpérois connaissent ce vieillard âgé de soixante-dix-huit ans, d’ordinaire si jovial. Le visage pâle et défait, il se prosterne devant la porte de la chapelle et baise longuement la dalle. Puis il quitte à jamais cette maison qu’il a fondée en 1838.
Après la pose des scellés sur les portes de l’édifice, les gendarmes menacent d’employer la force si la foule ne se disperse pas. Alors, dans le calme, les fidèles se dirigent vers la cathédrale Saint-Corentin où des prières s’élèvent vers le Dieu tout puissant, criant grâce et miséricorde pour l’horrible sacrilège, écrit, révolté, le journaliste du "Courrier du Finistère". Tout en nuances, l’article, intitulé Le sacrilège, continue ainsi : Sonnez clairons, battez tambours ! La République qui a délivré la France des dangers que lui faisaient courir les pauvres religieux, va nous gratifier du retour des assassins et des malfaiteurs. Français, réjouissez-vous !
La relation de l’évènement est évidemment bien différente dans les colonnes du "Finistère", journal républicain et anticlérical. Selon lui, les Pères jésuites, amis des royalistes, ont été de tout temps mêlés aux intrigues politiques. Bien qu’étant une menace pour l’État, celui-ci a mis les formes pour adoucir leur expulsion. Si la congrégation avait demandé l’autorisation d’exister, ses membres ne joueraient pas aujourd’hui aux martyrs. Dans tout le pays, les cléricaux ont voulu une dissolution à grand spectacle, la tranquillité n’étant pas leur vertu favorite.
Les autres congrégations masculines non autorisées ayant été expulsées à leur tour, les débats sont vifs à la Chambre des députés et au Sénat. Choqués par le rôle qu’on veut leur faire jouer, plusieurs centaines de magistrats et de fonctionnaires démissionnent et de nombreux religieux prennent le chemin de l’exil pour reconstituer leur congrégation à l’étranger.
Dès 1885, on assiste au retour progressif des Pères jésuites, mais la IIIe République anticléricale continue son combat pour la laïcisation de l’enseignement.
La bibliothèque de l'évêché dans l'ancienne chapelle Saint-Joseph
Depuis 1907, la maison Saint-Joseph est devenue le siège de l’évêché de Quimper et Léon. L’ancienne chapelle des Pères jésuites abrite une bibliothèque, riche de plusieurs milliers d’ouvrages, et les élèves du cours privé voisin sont bien loin de se douter que jadis, là où se trouve maintenant leur cour de récréation, il y a eu du reuz.
Un dernier détail qui aurait touché les neuf religieux expulsés : l'ensemble scolaire a pris le nom d'école primaire Saint-Joseph.
Merci Pierrick pour ce récit. C'est l'éternel combat pour la laïcité illustré par cet épisode. Des religieux qui auraient pu rester dans leurs locaux, mais qui par orgueil ont refusé de demander l'autorisation au Préfet, affirmant ainsi que l'autorité de l'Eglise est supérieure à celle de la République. La fresque récente d'Aristide Briand sur les quais à Quimper, illustre bien ce combat permanent. Sous le portrait, cette citation : "La loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi." (photo Ouest-France)
Toujours aussi compliquée... la laïcité !
Quel reuz! Quelle époque! C'est un plaisir de relire ce que j'ai découvert à la lecture de "IIIe République et Taolennou". Un livre à lire… et à relire.