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Un duel de titans

1ere partie

Rassurez-vous, le sang ne va pas couler, mais que de discours et d’articles haineux. Encore heureux que les réseaux dits sociaux n’aient pas existé à l’époque !


Sur le ring, deux farouches adversaires que tout oppose.

Comme arbitres : les électeurs bien malgré eux.  En 1919, dans une France appauvrie par tant de sacrifices d’hommes et d’argent, désorganisée et dévastée, on demande aux citoyens de voter à un rythme effréné, d’abord pour les législatives, puis les municipales et maintenant les cantonales.


À ma droite : Jean Hénaff, né en 1859 à Pouldreuzic, fils de paysans assez aisés, homme instruit et père de treize enfants. Toujours vêtu du costume traditionnel bigouden, ce fervent catholique que beaucoup appellent Yon Yann (Oncle Jean) est très populaire. Avec l’appui de deux industriels, il a créé en 1907 une conserverie de légumes pour laquelle il achète leurs récoltes de petits pois aux agriculteurs du canton Lorsque commence ce récit, Jean Hénaff est conseiller d’arrondissement et adjoint au maire de Pouldreuzic.



Jean Hénaff
Jean Hénaff

À ma gauche : Georges Le Bail, né en 1857 à Quimper, bourgeois aisé, avocat, député du Finistère, maire de Plozévet et conseiller général du canton de Plogastel-Saint-Germain depuis 1889. Dans le journal "Le Citoyen", une belle arme de guerre créée par lui, ce radical-socialiste assassine avec talent les cléricaux qui, à chaque élection, se liguent contre lui.


Georges Le Bail
Georges Le Bail

Mon grand-père Auguste, blanc plus blanc que blanc, ne supporte pas cet homme qui, en 1906, a écrit :  Le clergé, bouffi de lui-même, se croit d’essence supérieure, presque divine. Selon Le Bail, Auguste Chuto, être petit et insignifiant, ne se doute pas qu’il est à un génie de l’éloquence ce que le pistolet est au canon. Mon aïeul parcourait le diocèse pour, lors de prêches incendiaires, accuser des pires maux les républicains au pouvoir. Vais-je pouvoir être objectif après de telles attaques ?


1er round : élection cantonale du 14 décembre 1919


Le Bail, convaincu qu’il va être réélu conseiller général pour la troisième fois, ne débute sa campagne qu’une semaine avant. Le vendredi précédant le scrutin, Hénaff sort du bois et se déclare candidat contre celui dont le règne est nuisible à tous. Furieux, Le Bail éructe et critique ses partisans qui n’ont pas eu vent des réunions secrètes du parti réactionnaire.


Pendant quarante-huit heures, les murs se couvrent d’affiches à la gloire d’Hénaff et les paysans sont heureux de soutenir l’un des leurs contre un monsieur de la ville. Résultat prévisible :  le sortant ne récolte que quinze malheureuses voix de plus que son adversaire.


Au second tour, soutenu par Jean Jadé et deux autres députés sillonistes (mouvement politique chrétien social), qui suppléent le manque d’expérience de leur ami, Hénaff l’emporte par deux petites voix de différence. Mauvais joueur, Le Bail l’accuse d’avoir organisé avant le vote des repas et des libations dans les fermes. Des mains mystérieuses auraient aussi distribué des billets de banque. Blessé, l’animal politique anticlérical accuse le clergé. Selon lui, le cor clérical a retenti dans les églises, sonnant l’hallali. Ce n’est pas tout : à bord de trois voitures automobiles, les fils Hénaff (au nombre d’une demi-douzaine) ont sillonné les routes du canton, s’introduisant dans les salles de vote avec l’espoir que leur présence réussirait à intimider les fermiers des grands propriétaires.

 

Qu’importe les calomnies ! Avec ce nouveau conseiller général qui se dit fier d’être paysan, il est bien fini le règne de la trique. La terreur ne pèsera plus sur le canton. Pas si vite, rétorque le battu qui fait appel. L’élection est en suspens et Le Bail prévient : cette fois, pour Hénaff ce ne sera pas seulement eun taol guen (un coup blanc), mais bien eur chupen bras (une grande veste).


Alors que, face à la crise économique et à la vie chère, se déclenchent des grèves très dures, l’élection de Jean Hénaff est annulée avec un motif qui ne manque pas de sel : le nombre de bulletins trouvés dans l’urne de Plozévet (fief de Le Bail) est supérieur aux émargements.

Le pays est à la peine, mais les belligérants fourbissent leurs armes et vont reprendre le combat.



Usine Hénaff. Jean Hénaff se trouve à gauche de la photo
Usine Hénaff. Jean Hénaff se trouve à gauche de la photo

2e round : élection cantonale du 18 juillet 1920.


Hénaff demande au préfet que, dans chaque bureau de vote, trois de ses partisans surveillent les opérations afin de sauvegarder leur sincérité. Le Bail traite son adversaire de ar trubard, ar gaouter (traitre, menteur).


Pour Hénaff, est-il enfin possible qu’au conseil général, un autre (lui évidemment) s’assoie sur un siège qui s’est si bien conformé aux dimensions de ses fonds de culotte. S’il l’emporte, il offrira à son rival malchanceux une robe de chambre et une paire de pantoufles pour se reposer au coin du feu. Il l’a bien mérité.


Mais le conserveur va faire des économies. Le 18 juillet 1920, il est battu de 134 voix et "Le Finistère", journal républicain, se réjouit de la déconfiture de celui qui devra méditer l’Evangile qui lui rappellera que l’orgueil est un péché.


Plutôt que d’aller se confesser, le battu contre-attaque et conteste l’élection devant le Conseil d’État. Il est sans doute poussé par ses parrains députés, car le cœur n’y est pas. Son fils Alain, revenu très affaibli de la guerre, vient d’être enlevé à l’affection des siens.


Dans son édition du 14 mai 1921, "Le Progrès du Finistère", journal clérical, annonce l’annulation de l’élection de Le Bail, celui dont la carrière s’est édifiée sur la fraude et la violence. Des irrégularités ont porté atteinte à la sincérité du vote. Ainsi à Plovan, les partisans de Hénaff n’ont pas été admis dans la salle où seuls les bulletins de Le Bail se trouvaient sur la table. De plus, un grand nombre d’électeurs ont voté sans passer par l’isoloir, pourtant obligatoire depuis 1913.


Les deux hommes vont-ils repartir au combat ? Y aura-t-il un troisième, un quatrième et même un cinquième round ?

L’un des deux l’emportera-t-il ?

Vous le saurez en lisant le prochain article.


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7 Comments


nogrel.charlie
Feb 23

Enfin un article où l'on approche de près notre gloire nationale... le "Pâté Hénaff" ! Après avoir vu récemment (sur "France 2") un excellent documentaire sur l'histoire de la "petite boîte bleue" et de son (ses) créateur(s), je me disais :"Tiens, ce serait bien que Pierrick Chuto écrive quelques lignes sur ces Bigoudens les plus connus en France (et partout où il y a des Français)". Eh bien , c'est fait... et ça commence fort ! 😉

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claudineravignot
Feb 22

Merci pour ce nouvel article, j'attends moi aussi la suite avec impatience...

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Jacques Savary
Jacques Savary
Feb 21

Toujours aussi impatient d'avoir la suite...

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Jean-Yves Ruau
Jean-Yves Ruau
Feb 21

Merci Pierrick pour ce nouvel article ! Il nous tarde de connaître le dénouement !

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Jean Detolle
Jean Detolle
Feb 21

J'ai hate de connaitre la suite !😡😇

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