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Un duel de titans. 2e partie

Voici enfin la suite du duel épique qui a opposé deux titans de la Bigoudénie.

Lequel des deux sera enfin élu conseiller général du Finistère ?

Nous avons quitté Georges Le Bail (Plozévet) et Jean Hénaff (Pouldreuzic) à la fin du deuxième round. L’élection de Le Bail a été une fois de plus annulée pour irrégularités.


3e round : élection cantonale du 10 juillet 1921


Il faut repartir une nouvelle fois au combat, remonter sur le ring, et qu’importe les armes utilisées. Les réunions publiques de l’un et de l’autre attirent les foules et les attaques volent bas des deux côtés. Si Le Bail déprécie les valeurs intellectuelles de son adversaire dont il moque l’ignorance du latin et de l’algèbre, les partisans de Hénaff colportent la rumeur entretenue par "Le Petit Breton" que le député rouge aurait menacé les mutilés et les parents des soldats décédés au front de cessation de versement des pensions s’ils votaient pour le candidat blanc.


Mais ce qui va faire mal, très mal à Le Bail, maire de Plozévet, c’est l’expulsion d’un petit paysan par son adjoint. Le sieur Quinquis ne peut plus payer son fermage comme beaucoup de ses semblables. Le malheureux et sa famille sont à la rue pendant deux jours, avant que Le Bail ne propose de les héberger, mais le mal est fait et les cultivateurs se détournent de lui. Hénaff enfonce le clou en payant cinq francs de plus que les autres conserveurs le kilo de petits pois.


Georges Le Bail harangue les électeurs
Georges Le Bail harangue les électeurs


Le 10 juillet 1921, Hénaff gagne l’élection et vous vous doutez de ce qui va se passer. Si pour le vainqueur, c’est le triomphe de la liberté sur la tyrannie radicale, le battu fait évidemment appel, imputant son échec à l’article mensonger du "Petit Breton", à l’affaire Quinquis et à l’absence de quatre cents électeurs républicains partis, selon lui, travailler sur les chantiers des régions libérées. Il y ajoute des propos diffamatoires et les multiples irrégularités commises par le camp adverse qui, selon lui, a distribué avec largesse de l’argent, beaucoup d’argent.


"L’industriel de Pouldreuzic se voit déjà à la préfecture où siège deux fois par an le conseil général du Finistère, mais ce ne sera pas encore pour cette fois car, en août 1922, les juges du Conseil d’État annulent son élection. Ils ont estimé que l’article calomnieux du "Petit Breton" contre Le Bail a pu modifier les résultats. Reprenant espoir, ce dernier écrit dans son journal "Le Citoyen" que Hénaff a le physique et l’âme d’un vieux clérical monarchiste déguisé en républicain libéral.


4e round : élection cantonale du 8 octobre 1922


Jean Hénaff, 63 ans, et Georges Le Bail, 65 ans, s’affrontent de nouveau le 8 octobre 1922. Les électeurs en ont plus qu’assez, mais ils sont cependant près de quatre mille sept cents à voter. Après le dépouillement, les cléricaux font grise mine. Dans les bureaux de vote du canton, ils ont vu des fonctionnaires distributeurs de bulletins, des tuteurs d’ivrognes chancelants ou de votants séniles. "Le Progrès" accuse : Nous avons vu et entendu vos fidèles, Ô Saint Laïque, pousser des hurlements hystériques et se livrer à des contorsions épileptiques. On l’aura compris, Jean Hénaff, le favori de ce journal, vient de perdre son siège au Conseil général.


Jean Hénaff
Jean Hénaff


Parmi les quatre cents participants au banquet organisé en l’honneur de l’élection de Georges Le Bail, certains ironisent sur le battu : Peoc’h sant Yann ar piz bian (Tais-toi, Saint-Jean des petits pois). M. Le Hars, sénateur-maire de Quimper, n’hésite pas à vanter la probité et l’honnêteté du vainqueur qui proclame haut et fort qu’il est fait pour la lutte et qu’il sera toujours à la tête de sa meute contre la réaction cléricale de plus en plus arrogante et menaçante.


Les amis de Jean Hénaff en ont assez des qualificatifs peu glorieux donnés à leur champion et se vengent en qualifiant Le Bail de an tad marabout coz (le vieux père marabout), un sorcier qui a plus d’un tour dans son sac. Est-ce lui qui est à l’origine d’un faux grossier publié avant l’élection dans l’hebdomadaire "Paris-Bretagne", journal destiné aux Bretons émigrés ? Un manifeste en faveur d’Hénaff, signé par cinq députés et sénateurs, a été placardé dans le canton pendant la campagne. Cette déclaration se retrouve dans le journal parisien mais, surprise, à la place de Jean Hénaff, c’est le nom de Georges Le Bail qui apparaît. Un radical-socialiste parrainé par des élus catholiques, la ficelle est un peu grosse pour berner des électeurs naïfs ! "Le Petit Breton" prétend cependant que, trompés par cet appel sournois, les Bretons de Paris ont voté en masse pour Le Bail qui a mis des voitures à leur disposition pour venir voter au pays. "Le Citoyen" parle d’une histoire à mourir de rire, mais Hénaff porte plainte devant la justice et le Conseil d’État.

 


Article mensonger paru dans le journal "Paris-Bretagne"
Article mensonger paru dans le journal "Paris-Bretagne"

Alors que le monde est en ébullition, cette querelle de clocher s’arrêtera-t-elle un jour ? N’y a-t-il pas plus important ? Mgr Duparc exhorte les fidèles à ne pas gaspiller le pain, alors qu’il faut acheter des blés à l’étranger. La guerre scolaire fait rage entre les écoles du Bon Dieu et celles du diable et les députés discutaillent sur le droit de vote des femmes. Le gouvernement décide de faire un milliard d’économies et d’augmenter les impôts. En février 1924, triomphant, "Le Citoyen" annonce que la protestation de Jean Hénaff a été rejetée par le Conseil d’État. Désormais, écrit Vlan (Le Bail ?), Hénaff n’est plus qu’une loque lamentable qu’on n’osera plus représenter en 1925. Le on vise le député Jadé, éminence grise de Hénaff, souffleté par la validation de l’élection.


5e round :  élection cantonale du 19 juillet 1925


Hénaff n’a pas abandonné la partie et pendant la campagne, les deux adversaires se retrouvent au petit pardon de Penhors qui attire beaucoup de monde à Poudreuzic. Pourtant dans son fief, Hénaff est beaucoup moins à l’aise que Le Bail. Ses fils viennent à son secours et "Le Citoyen" note que, dans le canton, les réactionnaires sont de plus en plus agressifs et insolents. Ils sentent que le terrain leur échappe et que, malgré leur caisse noire, remplie par les gogos, ils vont enfin perdre face aux républicains.


Madame Irma aurait dû être consultée, car le contraire se produit et Jean Hénaff gagne de peu de voix certes, mais il est élu conseiller général du canton de Plogastel-Saint-Germain. Évidemment, Le Bail fait appel. Je vois, chers lecteurs, que vous n’en pouvez plus. Moi non plus !


Comme toute histoire a une fin, je suis heureux de vous annoncer que le pourvoi du battu est rejeté en décembre 1928. Au bout de la cinquième tentative, Jean Hénaff a pu enfin s’asseoir dans le siège de son ennemi juré, le voisin radical-socialiste de Plozévet.


Le 6 février 1937, parmi la foule de notables, d’élus et d’amis de Georges Le Bail, qui vont du domicile du défunt, rue du Palais à Quimper, jusqu’au cimetière Saint-Marc, il y a un grand absent. Si quatorze conseillers généraux sont présents, leur doyen Jean Hénaff est resté chez lui. "Le Citoyen" consacre un numéro entier aux obsèques de son créateur et dans "Le Progrès du Finistère", soutien de Jean Hénaff, on peut lire : M. Le Bail nous a beaucoup combattus. Nous avons dû beaucoup le combattre. Aujourd’hui, l’heure des polémiques est passée.


Espérons que saint Pierre n’a pas dû organiser une sixième élection, lorsque, le 26 novembre 1942, Jean Hénaff monte au ciel sans passer par le purgatoire que Georges Le Bail vient de quitter...


Pierrick



 Si vous appréciez mes article, venez me rencontrer à la conférence que je donne le dimanche 16 mars à POULDREUZIC




5 Kommentare


Marc Burel
Marc Burel
il y a un jour

Merci pour cet instant lecture.


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claudineravignot
il y a 5 jours

MERCI PIERRICK de nous faire profiter de vos trouvailles archivistiques, je reconnais être toujours intéressée et impatiente de me connecter sur votre site afin de découvrir vos nouveautés. Bon courage pour la suite...

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nogrel.charlie
il y a 6 jours

On se croirait (presque) à notre époque !!

Encore merci Pierrick pour ces textes "succulents" (tout comme le Pâté de Jean Hénaff 😉).

On devine , sans le voir, tout le travail préalable que cela a nécessité !...

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colette.boulard
il y a 6 jours

J'étais presque entre les deux, rouée de coups. Aïe, aïe, aïe......

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herve.legall
il y a 7 jours

toujours aussi passionnant! Belle façon de nous tenir en haleine. Et sur le fond, la permanence de la lutte entre es Bleus et le Blancs. Cléricalisme quand tu nous tiens!

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